29 janvier 2010

Oublier

"Qu’il serait bon parfois de tout oublier! D’oublier le temps, le peu de temps qu’il nous reste. D’oublier la douleur et la mort, le dérisoire et l’insignifiance de nos pleurs. D’oublier les marchands de peurs et d’illusions que nous croisons sur nos routes et dont le seul but est de nous restreindre en nous manipulant. D’oublier tous ces fantômes et ces fantasmes qui nous rendent aveugles et esclaves.

Qu’il serait bon de tout oublier pour ne garder que le strict nécessaire : l’abandon total de soi, dans le silence, à l’inconcevable infini qui nous habite depuis toujours."

27 janvier 2010

Charles Dantzig

Quelques perles glanées ici et là dans le livre de Charles Dantzig : « Dictionnaire égoïste de la littérature française. » Grasset

« Pauvre présent! Pauvre présent toujours injurié, présent qui est nous, présent qui n’arrive jamais à se débarrasser du chewing-gum du passé et devant qui on agite en permanence le papier brillant de l’avenir, pauvre présent, tu trouves le moyen d’admirer ceux qui t’injurient. » p 32.

« L’obsession est nécessaire : un écrivain est un homme qui a un certain sentiment de la vie, clou où il suspend son tableau (et où il s’écorche). » p 107.

« Une des choses qu’il réussit le mieux (parlant de Jean Cocteau), c’est de clouer des papillons. Les meilleurs livres sont des boites vitrées où l’on peut admirer, fichés par de longues épingles noires, des insectes de pensées attrapés du bout de la langue… » p 190

« L’atroce conviction, un jour, tomba sur la tête des hommes. Les hommes surent. Ils n’avaient plus besoin de réfléchir. » p 210

« La fiction a l’avantage de pouvoir nous faire rencontrer et observer des gens sans que nous ayons à les fréquenter. (…) Avec son air d’être une analyse de la vie, la fiction est une féérie. La fiction, qui peut sembler enfantine, est sans doute un des outils les plus fins pour faire avouer ses secrets à la vie, dont la science pour les cacher est infinie. » p 302

« L’idée n’est pas du domaine de la réflexion, mais de l’illumination. (…) L’illuminé n’est jamais loin de l’imbécile. Illuminé, il est ébloui. Ébloui, il est aveuglé. Aveuglé, il adore son aveuglement. (…) La puissance de l’idée est un spectacle effrayant. Avec une idée, on transforme un peuple plus ou moins civilisé en une meute. (…) Il y a de l’idée à la pensée la différence de la magie au bricolage. L’idée est de la magie se prenant pour la vérité, la pensée est un bricolage et c’est son honnêteté. » p 387

« La littérature est un éloignement de la vie pour mieux nous la faire comprendre. La littérature, c’est contre l’injustice. Elle expose des faits ou des sentiments qui, sans elle, seraient dédaignés par l’utilitarisme général. La littérature est une insurrection. C’est toujours ça que l’oubli, la négligence, le pouvoir, la vulgarité et autres forces du néant n’auront pas. Au moins pendant cinq minutes. » p 480

25 janvier 2010

La chicane



Je me souviens d’une remarque qu’un vieil homme m’avait faite il y a plusieurs années de ça. C’était le propriétaire d’un immense terrain de campagne au bord duquel coulait une rivière peu profonde entourée de champs et de forêts. Je lui avais loué pour une dizaine de jours un chalet des plus rudimentaires : pas d’électricité, un peu d’eau froide coulant par intervalle dans le robinet, un confort minimal. Mais un palace pour qui adore la nature et la tranquillité.

Chaque matin je voyais le vieux passer lentement devant mon « shack » pour aller rejoindre son champ de patates et l’entretenir. Une routine sympathique partagée par les conversations d’usage, le temps qu’il fait, comment va la santé, je marchais quelques fois à ses côtés pour aller l’aider dans son travail.

Je lui dis un jour à la blague que ce serait intéressant si nous pouvions dominer la température à notre guise au moment de nos vacances ou pour aider les cultures. Je le vis réfléchir, puis en ricanant il me dit que ce ne serait sans doute pas une bonne idée. Tout le monde chercherait vite à imposer le climat qu’il faut pour son usage, sans vraiment penser aux autres. « La chicane prendrait vite! »

Sûr qu’elle prendrait vite…

Comme la température, la réalité qui nous entoure est multiple, complexe et disparate. Rien ne peut arrêter sa diversité et c’est tant mieux. Chercher le contraire relève de l’utopie. Imposer le contraire transforme le paysage en forteresses de murs de béton lisse. Un pas de plus et c’est le règne de la pensée unique et de la tyrannie.

Nous n’aimons pas la chicane, je le comprends. Le refus de l’intolérable, compréhensible aussi. Notre désir du bien commun est valable et souhaitable, mais repose cependant sur une base très fragile s’il est imposé à tous.

Pas de chicane, non, mais équilibre dans la diversité, oui!


22 janvier 2010

Le grand malentendu

"J'ai parfois le sentiment que le grand malentendu s'accroît à chaque parole prononcée, à chaque geste. Je voudrais m'immerger dans un grand silence et imposer ce silence à tous les autres. Oui, il est des moment ou chaque mot accroît le malentendu, sur cette terre trop agitée."

Etty Hillesum, Une vie bouleversée. Point p 68

19 janvier 2010

Grimper ensemble

Un individu qui s'élève élève le monde avec lui.

Un jour, un enfant se retrouve au milieu d'un champ de hautes herbes. Il marche lentement puis, tout à coup, apparaît, surgissant de nulle part, une corde devant lui. Elle est plantée à la verticale. Il lève la tête et n'en voit pas la provenance tellement son extrémité se perd très haut dans le ciel.

Une question lui vient alors, obsédante :"Oseras-tu agripper cette corde et te laisser aller ?" L'enfant est effrayé. Il hésite longuement. Puis il ose et attrape la corde en se fermant les yeux. Il se sent monter, monter. Il ouvre enfin les yeux. Il est encore au même endroit. En s'élevant, la terre a suivi sous ses pieds...

18 janvier 2010

Bon appétit !

J’ai tendance à dire que nous sommes ce que nous ingérons.

Je parle de bouffe, comme de raison. Le sujet est important, je ne le nie pas. Je dois cependant admettre que si nous additionnons le nombre d’émissions télé, de chroniques, d’articles dans les revues, les journaux et internet sur la question, je dois admettre que la tablée est pleine.

Pas moyen de circuler dans le monde sans être abreuvé quasi de force des bienfaits d’une saine alimentation. Nous parlons même d’aliments « neutraceptiques », des aliments avec des propriétés médicamenteuses en quelque sorte.

C’est correct. Nous avons compris, bien s’alimenter est important.

Qu’en est-il maintenant de la nourriture intellectuelle? Qu’en est-il des mots, des images, de la musique que nous absorbons pour combler notre intérieur?

Le sujet est délicat. Car je ne parle pas de goût. Pourtant, si nous sommes ce que nous ingérons, si nous acceptons cette affirmation à tout point de vue, la question se pose : faisons-nous attention à la qualité de notre nourriture intellectuelle absorbée quotidiennement?

J’ai devant moi un article découpé dans La Presse où l'auteur Serge Timmons s’exprime sur le sujet avec beaucoup d’esprit. Il s’interroge sur la quantité de sucre, de sel et de gras trans absorbée dans une journée. Le sucre de l’humour omniprésent. Le sel des infos et des émissions trash, les téléréalités et le spectaculaire qui excitent et donnent soif. Et enfin le gras trans épais des publicités envahissantes et dégoulinantes.

L’auteur rajoute : « Tous les jours, les philosophes diététiciens vous le diront, il nous faut notre part des principaux éléments : un peu de réflexion, de solitude, d’apprentissage, de lecture, de recherche. Il faut se mettre au contact d’un art et d’une culture substantielle. Sans quoi on perd nos dents d’analyse critique. Nos muscles de réflexions s’atrophient, notre système d’imagination s’affaiblit. On ne digère plus bien les carences, les frustrations et on finit par développer une cirrhose du cerveau. »

Je sais, tout cela demande de la discipline. Il n’y a pas cependant à s’imposer un régime draconien, car nous connaissons le résultat d’une telle démarche. Le plus souvent elle est vaine et la frustration nous gagne.

Mais le passage du réflexe à la réflexion ne se fait jamais sans heurt. Il est déroutant. Il implique qu’on se libère du superflu, que l’on tende vers la frugalité… avec appétit.


13 janvier 2010

Miroir

"Qui va vers soi-même risque de se rencontrer soi-même. Le miroir ne flatte pas, il montre fidèlement ce qui regarde en lui, à savoir le visage que nous ne montrons jamais au monde."

Jung, Les racines de la conscience.

12 janvier 2010

Les joncs givrent *

Les joncs givrés

Des vierges rives

Qu’ont entourés

Les longs hivers

N’ont oublié

Ni berges vives

Herbes ni prés

Au grand lit vert.

Nul amarré

Janvier se prive

De nefs au quai

Larguées naguère.

Sous l’eau gelée

Tout en dérive

Des flots cachés

Vont à la mer.


* De Mario Levasseur, ami regretté, fou de génie. Parti il y a 25 ans.

11 janvier 2010

Une question de pourquoi

Tout comme Josée Blanchette dans le Devoir du 8 janvier 2010, je tique moi aussi lorsque j’entends ou lis des critiques cinglantes sur les cours de philo ou d’éthique et culture religieuse donnés dans nos écoles. Comment parler de propagande ou d’orientation idéologique lorsque des professeurs s’adressent à des enfants sur des questions aussi variées et universelles que le bien, le mal, la paix, la guerre, l’amour, la mort ou même les religions et croyances qui tapissent notre monde? Mme Blanchette le présente ainsi : « Une question légitime demeure : pourquoi? Et les enfants l’adorent cette question. »

Je me souviens de périodes trop rares au primaire lorsque certains de nos profs nous demandaient de leur poser des questions sur les problèmes qui nous turlupinaient. La classe s’enflammait, les mains se levaient vers le firmament des réponses espérées. Nous mordions avec avidité dans le fruit du pourquoi, du comment.

Réfréner la curiosité des enfants et leur désir légitime de comprendre ce monde autrement plus complexe qu’autrefois relève de la mauvaise foi et surtout de la peur.

Voici ce qu’en dit une jeune prof de ma connaissance réagissant aux mêmes critiques à propos des cours d’éthique et culture religieuse à des jeunes, au secondaire : « Comment peut-on vouloir que notre enfant se complaise dans une ignorance et une fermeture du monde qui l'entoure sous prétexte qu'il est dans une phase de transition et qu'il pourrait être influencé? À ce compte-là, aussi bien garder les enfants à la maison juste au cas où il rencontrerait de la différence à l'école. L'influence des copains est beaucoup plus grande au secondaire que n'importe quel programme, je peux vous l'assurer. Être contre ce programme, c'est vouloir entretenir des préjugés qui ne sont plus de notre époque. »

Elle rajoute ceci, plein de sagesse : « Ils apprennent à réfléchir sur des questions éthiques, à décortiquer ces questions pour mieux comprendre les enjeux qu'elles contiennent. Nous ne leur apportons pas de réponses toutes faites. Nous leur apprenons à ne pas porter un jugement sans avoir analysé au préalable la situation. »

Jeter un regard sur le monde sans le juger, l’analyser ensemble, s’enflammer devant ses multiples mystères, n’est-ce pas là une promesse de compréhension et d’ouverture qui nous honore?

8 janvier 2010

L'immense petit

Le petit a de l'espace. Il prend ses aises, étend ses jambes sur un tabouret sans déranger, court partout sans rien briser. Il s’arrête et on ne s’en soucie guère puisqu’on ne le voit pas ou peu. Il se met au travail, s’active et on ne le perçoit pas plus pour autant.

Mais ce petit a aussi de l’influence. Beaucoup. Parce qu’il est le rejeton du vide et du silence. C’est sa grande force.

Les physiciens atomistes ont raison de s’émerveiller de la grandeur du microscopique. C’est le fondement de notre existence. L’atome explose de vie, tourbillonne, joue même à la cachette en se situant à plusieurs endroits à la fois.

Prenez l’humble pion dans le jeu d’échecs. Jouez cette pièce de manière inconsidérée à un moment crucial et même dans l’ouverture d’une partie et tout basculera. L’échafaudage s’écoulera sans possibilité de retouches, à moins que l’adversaire ne fasse la même erreur. Un grand joueur d’antan (Philidor) avait raison de dire que « les pions sont l’âme des échecs ».

Prenez cet exercice que l’on surnomme le « down-u » dans la pratique du tai-chi. C’est la répétition de s’accroupir et se relever en mettant les bras devant. Tout est dans la manière. Après l’avoir exécuté plus de deux mois, un instructeur averti nous suggéra, à mon groupe et moi, la plupart des novices, de basculer très légèrement vers l’avant lors de l’accroupissement. Miracle ! Ce peu, ce si peu a tout changé. Moindre énergie dans l’effort, ménagement dans les articulations et le dos.

Le petit fait l’ouvrage. Car il demande peu, il va sans dire. Et donne beaucoup…


« Les choses s’avancent vers moi. Toutes choses. Par leur silence, elles entrent en moi. D’abord par leur silence. Puis, leur lumière s’élabore en moi, discrète, infime, miraculée. Enfin, l’embrasement, l’éclair, le brûlant, le radieux. Ensuite, écrire. Seulement ensuite. Voilà, c’est tout. »

Christian Bobin, Souveraineté du vide.

6 janvier 2010

L'oiseau, le patin et le Taï Chi


Fendre l’air sur une glace en hiver est mon pur bonheur.

C’est ce qui me rapproche le plus de voler. Je donne un coup de patin et je me propulse sans effort cinq mètres plus loin. Je m’imagine tel un grand oiseau planant dans le ciel; quelques battements d’ailes judicieux lui suffisent pour se maintenir et se mouvoir sur sa patinoire inversée.

C’est un art de l’effort sans effort. L’esprit de ce que les Chinois nomment le « wei wu wei ». Agir sans agir, sans se crisper, sans tomber dans l’impatience et la brusquerie. Chez certains sportifs de haut niveau, on dit parfois : « entrer dans sa bulle ». Mais ce n’est pas un état de fermeture, plutôt un d’ouverture. Comme un état de conscience de 360 degrés.

Le dos bien droit, une poussée vers la gauche puis une vers la droite, les bras se balançant avec légèreté, et mon corps oubli sa pesanteur, son obsession de la gravité.

Il y a un subterfuge dans l’art de s’envoler sur la glace. Le même que je retrouve dans les mouvements du Taï Chi. Pendant que je m’évertue à poser une suite de balancements, de virevoltes avec équilibre et grâce, le silence s’infiltre tout doucement dans ma tête, dans mon cœur. Je touche du doigt un bonheur simple qui efface d’un trait certaines appréhensions inutiles, ces angoisses jugées nécessaires, les soucis de bon aloi.

Il y a un grand subterfuge…

J’y vois une allégorie de la vie : l’art de patiner sur une glace fragile.

5 janvier 2010

Blanc




Il y a toute cette neige qui nous définit quand même un peu.

Il faut l'admettre.

Image ! Image !

"Je ne suis expert ni en promotion ni en artistes promenant leur chien. Mais je suis déprimé et même modérément enclin à remettre en question l'avenir du genre humain quand je m'attarde à essayer de comprendre le gars ou la fille qui, un bon matin, en voyant un artiste promener son chien, sort son portable pour immortaliser la scène, avant de l'envoyer à Hollywood PQ...

Il y a dans ce geste - dans la décision de pointer sa caméra sur Picard qui fume une cigarette; sur Morency qui achète une pizza (ou une lasagne, va savoir) congelée; sur un chroniqueur artistique s'amusant à un show au Centre Bell - une espèce de vide intersidéral épouvantable qui révèle quelque chose sur nous et sur notre époque.

Quoi?

Je n'ai pas trouvé encore. Je cherche. Légèrement effrayé par la réponse."

Patrick Lagacé, La Presse, 30-11-2009

4 janvier 2010

Question de valeur

"Tous les hommes sont des philosophes parce que, au regard de la vie et de la mort, ils adoptent telle position ou telle attitude. Il y en a qui tienne que la vie n'a pas de valeur parce qu'elle a un terme. Il leur échappe que l'argument opposé peut tout aussi bien être défendu : s'il n'y a pas de terme, la vie n'aurait aucune valeur. Il leur échappe que c'est pour part le risque toujours présent de perdre la vie qui nous aide à comprendre la valeur de la vie."

Karl Popper, À la recherche d'un monde meilleur. Ed. du Rocher, p 289

Nouvelle année en haute résolution


Nous soulignons les changements d’années par des résolutions qui, le plus souvent, finissent par remplir les limbes de l’oubli. De résolutions, elles se transforment bien vite en tentatives contraignantes puis en désillusions. Les vieilles habitudes reprennent le dessus, ignorantes des changements possibles qui auraient pu nous déplacer en dehors de sentiers déjà balisés.

Le transfert d’année surgit à l’intérieur d’un temps mesuré, d’une mécanique sans réelles valeurs fécondes. Il se manifeste dans une joie festive renouvelée qui fait partie du patrimoine. C’est ce partage qui est heureux, le sentiment de participer à une expérience commune que personne ne saurait déplorer.

Le jour de l’an transforme un nombre que nous intégrons comme toujours à notre comptabilité. Nous pensons alors que le moment est venu de transformer aussi quelque chose en nous ou autour de nous, quelque chose qui nous importe et nous tient à cœur. Mais comme l'émotion et l'intensité font défaut, ça ne fonctionne pas la plupart du temps.

Est-ce le meilleur moment pour prendre une résolution? J’en doute. — il faut être résolu pour tenir une résolution — L’humain étant ce qu’il est, l’imprévu générateur de peur et de souffrance demeure sans doute le seul aiguillon capable de soutenir une intention qui soit conservée. Nous apprenons qu’une maladie, peut-être fatale, nous ronge et nous devenons résolus. Nous venons de perdre notre emploi et une nouvelle détermination nous habite.

Est-ce que les « coups du sort » sont nécessaires pour engendrer les changements longuement souhaités? Je dois constater que oui. La forte émotion créée nous pousse, nous force même à agir, à bouger, à modifier un comportement négatif ou handicapant. Cette émotion est le carburant des résolutions.

Je ne vois qu’un autre moyen, hors la souffrance, pour nous stimuler sans nous faire fléchir. Faire l’expérience de ce que nous appelons le sacré ou le numineux : lorsqu'un moment de grâce nous habite, que la transcendance rompt la carapace de rationalité qui nous a toujours menés aveuglément. Ce peut être un rêve, une simple rencontre ou une lecture inoubliable que nous n’attendions pas, une coïncidence significative qui nous bouleverse, l’extase devant la beauté surprenante de la nature, une lumière, un chant glorieux et même le silence dans toute son humilité.

Cette expérience éprouvée nous saisit et nous relance sans que nous comprenions le pourquoi. Un « je ne sais quoi » est apparu aussi soudainement que l’éclair. Une urgence finit par s’installer, comme si le temps qui nous était imparti devenait le germe précieux de découvertes et d'apprentissages qui nous chambardent de fond en combe.

Être et comprendre le sens de cet "Être" devient alors notre mode de vie, l’unique moteur d’une existence à peaufiner de manière impeccable, résolument, avec passion, dans le but de nous unir à l’incomparable marche en avant de nos semblables qui nous accompagnent.

* Illustration: Mathieu Plante -- (www.mathieupdesign.com)

2 janvier 2010

Accepter

Je termine la lecture dans les journaux des nombreux comptes-rendus de l’année ainsi que de la décennie. Pas jolie, jolie! C’est à qui a décelé le pire moment : terrorisme, escroqueries, tsunami, etc. Une chronique dans La Presse du 26 décembre titre ainsi : « La décennie des désillusions ». À un autre endroit, on parle d’un concours organisé pour baptiser notre époque branchée, numérique. Le nom retenu : « Ego.com ».

Il est notoirement reconnu dans le monde des médias qu’une « bonne nouvelle n’est pas une nouvelle ». Je ne dispute ni ne discute cela. Ce qui me perturbe cependant c’est cette idée généralement admise que nous sommes dans une crise à n’en plus finir, que ça ne peut plus durer ainsi, que tout va mal, tout le temps. D’où l’indignation et le cynisme comme mode de vie. D’où la fascination quelque peu suspecte envers le pire, le « trash », le dégoûtant, l’infect.

L’écrivain Paul Auster nous dit que le cynisme est un réflexe de notre temps. « Le cynisme, comme son envers le sentimentalisme, ce n’est pas la vie. Je pense que les gens ne vivent pas intérieurement d’une manière cynique. C’est trop facile d’être cynique. »

Nancy Huston dans son livre Professeur de désespoir en rajoute : « Nous devenons schizos les amis. Dans le quotidien, nous tenons les uns aux autres, suivons l’actualité avec inquiétude, faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour préserver et renforcer les liens. En tant que lecteurs ou spectateurs, au contraire, nous encensons les chantres du néant, prônons une sexualité aussi exhibitionniste que stérile et écoutons en boucle la litanie des turpitudes humaines ».

Que se passe t’il donc? Ne sommes-nous pas en train de donner ses lettres de noblesse au nihilisme? Ce n’est pas parfait, ce n’est pas le paradis donc on détruit tout et on recommence!

Fritz Zorn cité dans le livre de Nancy Huston : « Le quelque chose a toujours des défauts; seul le rien est parfait. »

André Glucksmann dans Dostoïevski à Manhattan : « L’éternel binarisme contestataire : ici rien ne va. Ailleurs s’annonce le meilleur des mondes. »

Lors d’une entrevue à l’émission « Tout le monde en parle » l’écrivain et ancien journaliste Gilles Courtemanche s’est exprimé avec beaucoup d’émotion sur une expérience qu’il a vécue dans un pays en guerre. Une bombe venait de sauter et des photographes s’acharnaient sur les morts et les décombres. Lui voyait plutôt un couple, juste à côté, qui s’enlaçait et s’embrassait comme pour se consoler. Courtemanche se désola : « On ne montre que ça, la guerre, la désolation… » Mais il n’y a pas que « ça ». Il y a aussi les étreintes de l’amour, sinon nous serions tous disparus de la surface de la terre depuis longtemps. Sinon il n’y aurait pas six milliards d’habitants ici-bas!

Nous ne sommes pas plus fins que nos ancêtres. Nous n’avons pas inventé l’horreur, la guerre, les crises. Nous avons seulement inventé l’art de s’en délecter davantage à travers les médias de masse et internet et nous croyons finalement qu’il n’y a que cette réalité de vrai. Comme si nous avions conclu que sur une année entière il n’y a que les six mois de noirceur qui sont réels.

Je souhaite seulement que nous acceptions l’existence à la fois de la noirceur et à la fois de la lumière. Autour de nous et en nous. Surtout afin de ne pas projeter notre côté sombre sur l’autre, sur les autres. Afin aussi de ne pas nous dénigrer, car il y a beaucoup de bon en nous.

C’est mon souhait pour l’année qui commence.