28 avril 2010

Les gros mots

Jamais pu endurer les gros mots!

Ils ne m’impressionnent pas. Ils me portent plutôt à fuir l’intrus qui se sert de cet artifice ou, à tout le moins, à ne pas prendre au sérieux l’auteur du forfait.

Je ne parle pas de lever le ton ou de manifester de la colère quand les situations l’exigent. Démontrer du caractère et de la détermination a du bon, ne serait-ce que pour survivre aux aléas de la vie. Non, je pense plutôt à cette propension chez certains à utiliser mots et expressions dans le but de dominer l’autre, à l’inflation des idées pour épater, créer un effet dans le seul but d’attirer l’attention pour son autopromotion. Je pense à cette manière de marteler la conscience, de faire du bruit plus que nécessaire, de s’indigner haut et fort, de manipuler en jouant sur la crédulité et les sentiments des gens, et j’en passe.

S’affirmer est bon en soi, chercher sa minute de gloire à tout prix relève d’un infantilisme creux.

Que des groupes d’intérêt crient à l’injustice à tout propos et menacent de se venger me laisse de marbre. Parler de dictature à chaque fois qu’une autorité ne se plie pas à nos caprices ne m’impressionne pas. Crier au génie chaque fois que nous entendons quelque chose de nouveau est abusif. Lire le panégyrique d’un décédé et constater que c’est le « dernier des hommes libres et vrais » me rend un tantinet suspicieux.

Je ne perçois pas non plus le baratinage, l’humour crasse et le bitchage comme des qualités à rechercher. Je sais que nos médias s’en délectent, tout comme ils se pourlèchent les babines chaque fois qu’un scandale se pointe, que le sang gicle, qu’une rumeur croustillante circule.

« Tout ce bruit pour rien. »

Des faussetés à la tonne, des approximations qui nous sont jetées en pleine face et qui finissent par se frayer un chemin dans nos têtes et nous influencer. Qui finissent par devenir vrai, de force…

Les idéologies totalitaires n’ayant plus la cote, le prochain défi sera peut-être d’apprendre à résister aux gros mots et au bruit ambiant. Il sera peut-être de barricader son esprit afin de freiner les assauts répétés de manipulateurs sans scrupule.

27 avril 2010

Froid dans le dos


Il fait froid, il neige, il vente. Nous sommes pourtant le 27 avril!

Je regarde le myosotis par la fenêtre. Comment va-t-il s’en sortir? Je pense aussi aux quelques jonquilles du voisin qui se sont pointé le nez sur son terrain.

Les affres du temps. On en parle beaucoup depuis quelques années. On signale ses soubresauts, ses sautes d'humeur. C’est le réchauffement de la planète le grand responsable, entonnons-nous en chœur!

La planète se réchauffe, il est vrai. Mais comme nous voulons tout contrôler, rationaliser, juger, pénaliser, nous nous permettons de trouver le seul coupable commode, le bouc-émissaire idéal : l’homme. Dieu étant mort, croyons-nous, alors pourquoi se priver?

Nous aimons jouer au jeu du savoir et de la culpabilité. L’intérêt en est cette innommable impression de pouvoir. Les gérants d’estrades exultent toujours, après coup… L’opposition en politique a toujours le meilleur rôle. Affirmer un non catégorique à la face du monde relève de l’extase.

La vérité est que nous n’en savons rien. Mais comme c’est une chose impossible à admettre pour l’être orgueilleux que nous sommes, alors…

Il neige, il fait froid. Je pense au myosotis qui frissonne…

26 avril 2010

Solitude

« Le sage ne souffre ni de la solitude ni de la multitude, même si par tempérament personnel il peut sentir qu’il excelle dans la solitude. Dans la vie sociale, on est ceci ou cela. Dans la solitude, on a le temps d’être, tout simplement. »

Dr Jacques Lavigne, La mystique du silence, Albin Michel.

Degré... ou de force

« La liberté ne supporte pas de degrés. Nous ne pouvons être à moitié libres, tout comme nous ne pouvons être à moitié esclaves. »

23 avril 2010

Le barbu

Comment s’appelle-t-il déjà?

Il m’avait dit son nom l’année dernière lorsque nous nous étions croisés à quelques reprises, lui toujours installé sur le même banc à contempler la rivière juste en face, et moi marchant, trottant ou pédalant pour évacuer, entre autres, mes idées mortes et les remplacer par quelque chose de plus frais.

Je l’ai revu ce matin. La même grosse barbe grise, le même bonjour sympathique, la même bedaine en avance de quelques pas sur le reste de sa charpente. Pas eu le réflexe d’arrêter pour causer, je commençais ma randonnée en vélo et là il ne faut pas que je freine, car l’enfant fou a pris le dessus sur mon corps.

Je ne me souviens pas de son nom. Il m’avait raconté qu’il venait de la Gaspésie, qu’il était amérindien du coin de la Baie des Chaleurs. Il aimait jaser et moi je l’écoutais. Je ne sais pas si c’était à cause de sa barbe qui lui donnait un air de sagesse. Cet archétype du vieux sage demeure blotti en nous et se réveille instinctivement quand l’occasion se présente de rencontrer un gros poilu.

Peu importe. Moi aussi j’aime causer parfois avec un inconnu, surtout celui dont la dignité semble avoir été bafouée, qui se sent blessé et oublié.

Je n’ai jamais cru que la pauvreté était une vertu et la richesse un défaut sans nom. Je constate seulement que des gens autour de nous souffrent de ne pas être entendus, vus et reconnus. Je constate seulement que de s’arrêter, s’oublier quelques instants pour regarder droit dans les yeux un laissé-pour-compte, un vieux, un maganné n’a pas de prix. Et cela dans les deux sens.

Ce matin je n’ai pas freiné en le voyant.

Je pédalais comme un fou…

19 avril 2010

Le livre des dépêches

L’écrivain new-yorkais Paul Auster (qui s’exprime très bien en français) me fascine depuis plusieurs années. Je suis en train de lire avec beaucoup d’intérêt un de ses livres dont nous entendons peu parler. Son titre : « Je pensais que mon père était Dieu »

Après une interview à la radio en 1999, l’animateur demanda à Auster de revenir à son émission tous les mois pour raconter des histoires. L’idée ne l’intéressant guère, il répliqua en demandant aux auditeurs de lui écrire leurs propres histoires à eux pour les lire ensuite en onde. Ces histoires « devaient être vraies, devaient être brèves. » Et ce qui l’intéressait le plus, précise-t-il ensuite, « c’était celles non conformes à ce que nous attendons de l’existence, des anecdotes révélatrices des forces mystérieuses et ignorées qui agissent dans nos vies… »

L’écrivain a reçu plus de quatre mille textes. Pour son livre, il en a retenu cent-quatre-vingts.

Dans la préface, Paul Auster nous écrit ceci : « J’ai appris que je ne suis pas seul dans ma conviction que, plus on s’ouvre à lui, plus le monde paraît insaisissable et troublant. Comme l’a si éloquemment écrit l’un des premiers participants, “je me retrouve sans définition adéquate de la réalité”. Si on n’est pas sûr de tout, si on a encore l’esprit assez ouvert pour s’interroger sur ce qu’on voit, on tend à considérer le monde avec une grande attention, et de cette attention vient la possibilité d’apercevoir quelque chose que personne n’a encore vu. Il faut être disposé à admettre qu’on ne possède pas toutes les réponses. Si on croit les posséder, on n’aura jamais rien d’important à dire. »

L’écrivain rajoute ensuite : « S’il fallait définir ces récits, je dirais que ce sont des dépêches, des rapports envoyés du front de l’expérience personnelle. »

Je lis ces histoires très attentivement. Elles me rappellent certaines que j’ai moi-même vécues ou entendues de connaissances et d’amis. Et elles me disent que la vie doit être jouée avec bonheur et passion, même si nous ignorons toujours à quoi nous attendre.

La beauté

« La beauté nous soulève dans ses bras, nous porte quelques instants à la hauteur de son visage, comme font les mères avec les tout petits enfants pour les embrasser, et puis, sans prévenir, elle nous repose à terre, nous remet à notre vie trébuchante — comme font les mères. »

Christian Bobin, La présence pure.

15 avril 2010

L'esprit de la marche

"Mon pied droit est jaloux de mon pied gauche.
Quand l'un avance, l'autre veut le dépasser.
Et moi, comme un imbécile, je marche."

Raymond Devos (cité par Christophe Lamoure)

Lors d’une randonnée en montagne, mon fiston, alors âgé de huit ou neuf ans, nous dit à ma conjointe et moi que la terre tournait à cause de nos pas constants sur sa surface. La terre virait grâce à nous!

Peut-être a-t-il raison…

En tout cas, chaque fois que je marche, j’ai l’impression de retrouver un rythme. Est-ce à cause de la lenteur naturelle de l’exercice? En auto ou avec tout autre véhicule, la vitesse prime, l’illusion de gagner du temps compte. L’effort n’est pas le même, le rendement et l’efficacité prennent le dessus. On parle ici d’un rythme qui a tout à voir avec la mécanique des choses. En un sens il est important, surtout lorsqu’il y a urgence, mais il n’y a pas toujours urgence à ce que je sache. C’est pourquoi marcher permet de scander une rythmique du corps et, ce faisant, de regagner une harmonie perdue dans une frénésie constante de rapidité, de vélocité, de « surfing » sans consistance et disproportionné.

Dans son livre Petite philosophie du marcheur, Christophe Lamoure nous dit ceci : « Au cours de la randonnée, le marcheur se sent en communion avec la poussière légère que ses pas soulèvent, il sait qu’il en est. » Marcher serait aussi un acte d’humilité. Humilité qui fait référence à l’humus, à la terre. L’orgueilleux préfère l’avion et parfois même les fusées et autres stations orbitales…

La lenteur et l’humilité de la marche font très bien mon affaire. La marche calme mes pensées, génère tout naturellement un état d’esprit méditatif. La marche m’aide à creuser, à approfondir mes réflexions, à corriger même certains travers qui prennent vite le chemin des habitudes. J’ai lu quelque part que des chamans ou sages amérindiens affirmaient que notre vie entière s’inscrivait méthodiquement sur l’arrière de nos jambes et que lorsque nous marchions cela facilitait la récapitulation de cette vie pour mieux la comprendre, la corriger et l’aimer.

Je ne sais pas combien de kilomètres mes jambes ont grignotés jusqu’à ce jour, mais je vais continuer, car je les sens de plus en plus solides avec l’âge.

Elles me servent d’appuis et de ressorts. Elles me garantissent de merveilleux envols quand le silence de la terre me les propose.

13 avril 2010

Trouble de mémoire


L’Alzheimer. Lorsque nous entendons ce nom de maladie, il y a une gêne qui nous gagne, qui nous rend mal à l’aise. Elle touche à la mémoire et celle-ci demeure encore un mystère, il faut le dire. Cette mémoire qui est faillible, cette mémoire avec des trous même lorsque tout va. Étrange faculté dont une des propriétés normales est de nous faire faux bond, de ne pas fonctionner sur commande et de déjouer notre conscience du présent.

J’ai de très vieux souvenirs.

Je suis dans les bras de mon père sous un des pommiers que nous avions sur notre terrain autrefois. Je dois avoir deux ou trois ans, pas plus. Il y a un oiseau juste là, devant moi, sur une branche. Je pourrais le prendre dans ma main. Je me souviens de notre ébahissement à tous les deux : mon père sourit et moi aussi.

Ce souvenir est tellement loin en moi que j’ai plutôt l’impression de me rappeler l'avoir déjà eu inscrit quelque part dans la mémoire. Le souvenir d’un souvenir…

Au même âge, je suis en train de jouer dans la cour avant chez mes parents. Il y a des chemins tracés dans la terre et je pousse de petites autos et des camions. Tout à coup, j’entends au loin des bruits qui me font peur. C’est une fanfare avec les sons des tambours qui approchent dans ma rue. Je veux rentrer dans la maison, car je suis terrifié et je pleure.

Ces deux événements me semblent irréels, car enfouis dans un passé lointain. Ils viennent effleurer ma conscience du présent. Ils percent encore les limbes de l’oublie. Mais pourquoi?

D'autre part, pourquoi oublie-t-on?

Tout près du sommeil je pense et divague sur un ou des sujets qui me touchent. Ces pensées s’écoulent tout doucement et je suis persuadé qu’ils m’aident à m’endormir.

Mais il arrive parfois que mon attention change, et je reprends conscience du présent : un petit éveil proche du sommeil. Tout ce que je pensais, il y a quelques secondes à peine, disparaît alors par enchantement. J’ai beau forer, il n’y a plus rien. La frustration me gagne, car j’aime ces pensées qui m’aident à m’endormir, et vous conviendrez que le contraire entraine la possibilité de l’insomnie.

Est-ce normal? Est-ce que je perds beaucoup?

Mon père, à 87 ans, est désormais déclaré Alzheimer. Le psychiatre que nous avons rencontré, mes frères et moi, nous a dit qu’il avait atteint le deuxième stade de cette maladie qui regroupe maintenant les cas de démences séniles, si j’ai bien compris. Peu importe les appellations, la réalité demeure la même : perte de mémoire sévère et donc perte du sens de la réalité.

Je parle avec mon père et nous avons encore des conversations lucides. Je dirais normales. Je perçois des lueurs d’intelligences et d’émotions, une sensibilité à fleur de peau, un désir de combler intensément les derniers moments de sa vie.

Pourtant, sa mémoire s’efface au fur et à mesure de ces conversations. Je suis fasciné. Il me parle de ses préoccupations présentes et l’instant d’après il recommence les mêmes propos. Rien ne semble se graver dans sa conscience. Une conversation dans un présent continu prend place entre nous deux. Je répète les mêmes phrases sans me lasser en me disant que tout ça meuble notre dialogue qui s’étire tranquillement dans son présent à lui. Il se satisfait de ce bonheur. Puis je change de sujet et nous nous suivons dans un autre monde, ensemble.

Je me dis que cette maladie de la mémoire se rapproche peut-être de l’endormissement du cerveau, comme il m’arrive parfois au bord du sommeil.

L’Alzheimer serait comme s’endormir tout en restant éveillé. La conscience du présent effaçant tout au fur et à mesure. Un présent trop fort et trop lourdaud pour un être affaibli.

Un présent qui ne se grave plus en nous. C’est grave.

12 avril 2010

Ne rien savoir

« Nous ne savons rien — c’est la première chose. Aussi devons-nous nous montrer très modestes — c’est la deuxième chose. Il n’y a pas lieu de prétendre savoir quand nous ne savons pas — c’est la troisième. »

Karl Popper, Toute vie est résolutions de problèmes, p.158

9 avril 2010

Comprendre, c'est aimer aussi !

« Promettre le ciel et l’enfer ne peut plus faire bouger les hommes; ils veulent comprendre. Je ne veux rien débiter à mon patient, je dois le chercher, je dois apprendre sa langue et faire miennes ses idées jusqu’à ce qu’il voie que je l’ai bien compris. Seulement alors il sera prêt à me comprendre lui aussi et à comprendre la langue étrange de l’inconscient qui lui parle de vérités éternelles. »

Carl Jung, Le divin dans l'homme.

7 avril 2010

Tout l'univers dans un grain de sable


L’astrophysicien Trinh Xuan Thuan a publié tout récemment un Dictionnaire amoureux du Ciel et des Étoiles chez Plon/Fayard. Ce dictionnaire contient, entre autres, une entrée fort intéressante sur le rapport entre « Science et Poésie ». Il se pose cette question : « En essayant de trop comprendre et de tout rationaliser, ne risquons-nous pas de tuer toute beauté et poésie? » Nous pourrions rajouter : « Est-ce que le langage scientifique conduit par un état d’esprit rationnel n’est pas en train de réduire la vie à son seul aspect quantitatif ou utilitaire? »

L’astrophysicien cite le poète John Keats (1795-1821) :

« Tous les charmes ne s’envolent-ils pas

Au simple contact de la froide philosophie? (la science)

Il y eut un majestueux arc-en-ciel dans le ciel :

En connaissant sa nature et sa texture

Nous le réduisons à une chose ordinaire.

La philosophie coupe les ailes des anges;

En conquérant tous les mystères,

Elle vide l’air des fantômes et les mines des gnomes,

Et détruit l’arc-en-ciel. »

Je me souviens avoir suivi un camion-citerne de lait lors d’une ballade en campagne, il y a plusieurs années. Derrière le camion, en grosses lettres, il y avait ces mots : « Boire du lait, c’est se fleurir l’intérieur! » Je sais c’est un slogan publicitaire. Néanmoins, il contient un aspect poétique, une évocation qui nous touche en quelques mots plus que si nous utilisions le seul langage scientifique. Par exemple : boire du lait, c’est se nourrir d’une bonne source de vitamine D et de calcium, nutriments nécessaires à la croissance des os et des dents des enfants, etc.

Laquelle des deux approches préférons-nous?

Elles ne doivent pas pourtant pas s’exclure. Elles sont essentielles pour le bien-être extérieur et intérieur de l’homme. Séparées, elles doivent accepter leurs déficiences. Ensemble, elles nous aident à rejoindre une globalité, à ressentir qu’il y a interdépendance en toutes choses.

L’auteur, étant lui-même un scientifique de grand renom, insiste cependant en nous disant que pour se connecter au monde il n’y a pas que la science, il n’y a pas que la raison. Trop de mystères, trop de beauté et de poésie en seraient balayées.

« Voir un univers dans un grain de sable

Et un paradis dans une fleur sauvage,

Tenir l’infini dans la paume de la main,

Et l’éternité dans une heure. »

Trinh Xuan Thuan cite ce poème de William Blake écrit en 1803. Il décrit magnifiquement cette réalité qui nous englobe. Il préfigure ce que de nombreux chercheurs ne peuvent que constater dorénavant : tout se tient dans l’univers, tout ne fait qu’un.

6 avril 2010

La mythologie et la science

« Peut-être est-ce que, privés d’un Dieu auquel ils ne pouvaient plus croire, les scientifiques avaient besoin inconsciemment besoin d’être rassurés. Bien que se sachant vivre dans un univers matérialiste, mortel, sans salut, ils avaient besoin de savoir qu’il y avait quelque chose de parfait et d’éternel : l’univers lui-même. Cette mythologie extrêmement puissante, obsessionnelle, bien que cachée a animé le mouvement de la physique. »

Edgar Morin, L'homme et la mort (Introduction à la pensée complexe), p 81