29 octobre 2010

Dieu


Dieu.

Le mot est lancé, dans une conversation, dans un débat à la télévision, dans une discussion entre spécialistes.

Chaque fois je vois des sourcils se froncer, des bras se croiser et des cous qui s’enfoncent sur des épaules voûtées.

Dieu. Je lâche le mot et j’entends tout à coup le cliquetis métallique des fusils qui se chargent. Je ressens une barre rigide qui s’enfonce au creux des idées, des mots et des images. Je vois des militaires au garde-à-vous, des hommes puissants drapés d’autorité et de certitudes absolues se pavanant devant des foules ahuries.

C’est Dieu ça?

Un bébé, là. Je le prends dans mes bras et le regarde, fasciné. Je le regarde tout comme on contemple durant des heures la flamme d’un foyer, sans se lasser.Chaque fois mes sourcils s’élèvent devant le bonheur d’une réalité si simple. Je m’ouvre et me dilate, tout mon corps se décontracte et j’aurais envie de danser et chanter. Puis des larmes se glissent, car je comprends subitement la beauté, la grandeur, l’immensité d’un prodige sans qu’aucun mot ne vienne troubler l’atmosphère.

Mais Dieu!

J’ai une défaillance et mon cœur s’emballe. J’ai les yeux horrifiés devant la haine et la laideur. Je vois l’interprétation des hommes se profiler et je vois ces mêmes hommes s’illusionner devant l’inconnaissable. Qu’à cela ne tienne, le plus fort gagnera au jeu de la croyance, au jeu de la distinction!

Tout comme le politicien qui promet mers et mondes en ayant le mot « peuple » à la bouche dans chacune de ses phrases, la personne qui ose se prononcer sur la vie en prenant Dieu pour témoin ne mérite aucune attention. Ce que j’entends de sa part, c’est plutôt ceci : « J’ai des fréquentations particulières avec un être supérieur, MOI. Je négocie chaque jour avec le divin et connais son plan, car je me nourris de lectures pieuses et me recueille en des endroits réservés à l’élite spirituelle. » Infantilisme, orgueil insensé et diablerie méprisable.

Le désir de reconnaissance est tellement peu subtil qu’on s’étonnera toujours de son influence sur les consciences.

22 octobre 2010

Mario Vargas Llosa et le courage de la liberté


Le prix Nobel de littérature 2010 gagné par Mario Vargas Llosa récemment ne me laisse pas indifférent. Vargas Llosa représente à mes yeux ces rares intellectuels qui osent prendre parti pour l’individu et son combat pour la liberté en opposition aux forces collectives qui cherchent au contraire à le contraindre et l’embrigader de toutes les manières possibles.

L’histoire du 20e siècle est très représentative du fléau des idéologies de gauche et de droite qui sont nées dans le but inavoué de bafouer la liberté et la dignité de ce qui seul demeure réel, l’individu dans toute sa diversité, sa complexité, avec ses qualités et ses défauts, cet être imparfait en opposition avec la prétention maladive de pureté exigée par tous les apôtres fanatiques des solutions définitives, miraculeuses et uniques.

Dans un de ses livres : Les cahiers de Don Rigoberto, il dit ceci par l’intermédiaire de son personnage : «... tout mouvement qui prétendrait transcender (ou reléguer au second plan) le combat pour la souveraineté individuelle, en faisant passer d'abord les intérêts de l'élément collectif - classe, race, genre, nation, sexe, ethnie, Église, vice ou profession -, ressortirait à mes yeux à une conjuration pour brider encore davantage la liberté humaine déjà bien maltraitée.»

Il y a toujours une bataille en jeu. Cette bataille en est une pour la liberté. Nous ne sommes pas des bêtes dociles, consentantes. Nous n’avons pas à être soumis et obéissants. Le combat est féroce et même s’il doit se faire en toute humilité il doit viser à nous rendre plus forts, plus sages, plus avisés. Tranquillité d’esprit, compréhension, épanouissement ne dépendent que de nous.

Les tirs viennent de partout et il faut résister aux balles en provenance de la gauche et de la droite. Et le paradoxe est que nous ne devons rien attendre de cette bataille.

Nous devons tout de même la jouer, car notre sort en dépend.

Seul importe le courage, cette vertu individuelle à développer.

21 octobre 2010

La vérité ne se trouve pas au fond des poches

« La vérité est absolue et objective; seulement, nous l’avons pas au fond des poches. C’est quelque chose que nous cherchons sans cesse et que, souvent, nous trouvons difficilement; mais nous essayons constamment d’améliorer notre proximité à la vérité. Si la vérité n’était pas absolue et objective, nous ne pourrions pas nous tromper. Ou alors, nos erreurs seraient aussi valables que notre vérité. »

Karl Popper, Toute vie est résolution de problèmes, Actes Sud, p 157

20 octobre 2010

Régime miracle

"Il n' a qu'un seul péché, limiter notre conscience."

Je ne suis ni athée, ni incroyant, mais tout ce branle-bas médiatique autour de la nomination du frère André à titre de saint décrété par l’Église catholique me laisse de marbre. Cette notion de sainteté semble tellement galvaudée et difficile à cerner qu’elle ne sert, en définitive, qu’à rehausser l’image d’une institution fragilisée et en mal de reconnaissance.

Je dois dire cependant que la question des miracles m’intéresse tout particulièrement. L’inexplicable a quand même toujours la cote… C’est toutefois l’attente et la recherche de miracles ou l’intervention d’un « deus ex machina » dans nos vies qui me chatouille le plus. Sommes-nous si démunis devant les aléas de l’existence, au point même de marchander ces miracles?

Lors d’une randonnée dans le Vieux-Québec il y a quelques années, je vis une petite église (Notre-Dame du Sacré-Cœur) sur la rue Sainte-Ursule, un peu en retrait et à l’ombre d’un monastère. Comme elle brillait d’humilité et de simplicité, j’y pénétrai juste pour voir, des fois qu’une part du divin viendrait m’effleurer au passage comme une caresse soyeuse de chérubin.

À l’intérieur, le silence. Nulle âme qui vit. Cependant, quelque chose accrocha tout de suite mon regard et me stupéfia. Il y avait là, gravé sur les murs, une mer de mots qui me heurta comme une lame de fond. Rassemblées en mosaïque sur des plaques de marbre, des requêtes en grâces, en guérisons, en protections, des remerciements pour faveurs obtenues m’entouraient, m’enserraient et m’étouffaient tant elles étaient nombreuses. Ces ex-voto me fustigeaient de leur regard :

«Ô Notre-Dame, accordez-moi une guérison complète ».

« Merci Ô Notre-Dame pour l’heureux règlement d’une affaire importante ».

« Merci pour la réussite de mon opération… ».

« Ô Notre-Dame, ayez pitié de moi, guérissez-moi… ».

Et d’autres encore, beaucoup d’autres, jusqu’à me submerger et qui recouvraient trois murs presque entièrement du plancher jusqu’au plafond.

J'étais estomaqué, et tout ce bruit m’agressait. Je voyais comme des cris d’enfants figés dans la pierre : « S’il vous plait, donnez-moi ceci, occupez-vous de moi, moi, Moi! Merci, vous m’avez fait plaisir, j’ai eu si peur, moi, Moi! »

Serait-ce donc cela la véritable et unique religion sur terre? « Mon Dieu, fait qu’il ne m’arrive rien de fâcheux, que je n’aie aucun problème, que tout soit parfait. Tu sais, je ne suis pas rien, occupe-toi bien de moi et je le dirai à tout le monde. Ok? »

Il n’y a qu’un vrai miracle, mais si humble qu’il ne défrayera jamais les chroniques : un changement de conscience. Il se trouve dans la partie la plus méconnue et délaissée de l’existence : en soi même.

Tout le reste c'est pour ébahir et amuser les enfants.

18 octobre 2010

Corne d'abondance


Demandez-moi ce que je pense de l’abondance et je vous dirai sans hésiter qu’elle se trouve dans la soustraction, dans le moins.

Dans le moins? Oui, dans le moins.

Moins de bruits, d’agitation, d’opinions sans fondement, d’exigences infantiles, d’exaspérations, de mécontentement, de soupçons stupides, de revendications urgentes, de peurs, d’irritations, de cris alarmistes, de prétentions, d’indignation criarde, de canulars, de vitesse folle, d’emportements, d’inquiétude, d’insécurité et j’en passe.

Sans cesse nous pouvons lire et entendre débats sur débats dans nos journaux ou à la télé : la question nationale, les accommodements raisonnables, être de droite ou de gauche, etc. Sans cesse nous lisons et entendons aussi des chroniques sur les sujets cruciaux du jour. Entièrement faits à chaud, si je peux dire. À la vitesse de la lumière, ces chroniqueurs nous rendent compte avec force détails de faits et d’événements, puis ils se prononcent sur leur valeur, leur importance, leur signification profonde avec l’assurance de grands inquisiteurs. That’s it, that’s all! Mais comment font-ils? Vous allez me dire que c’est leur métier, mais quand même… Un événement se produit et la lumière éclate de toute part! Opinions, théories jaillissent de la noirceur de l’incompréhension comme par magie. C’est le branle-bas de combat, on ne doit rien laisser sans explications; vite il y a urgence de coupables et même d’évidences et de simple bon sens. Abondance de commentaires, tu dis?

J’entre dans ces temples du consumérisme que sont Wall Mart, Canadian Tire, Archambault, pour ne pas les nommer, et je me sens submergé par un tsunami d’une force inouïe. Toujours, j’en ressors ébranlé. Tout ça, c’est encore de la grosse abondance que je me dis! Je devrais en être fier ou, à tout le moins, sentir que je ne suis pas laissé à moi-même, seul, pauvre et démuni dans cette jungle inextricable de l’existence.

Eh bien non! Il n’y a rien à faire, j’ai la nausée du trop et de la chose superflue.

Je viens de lire que la mode est dorénavant au cool (koowl): http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/298069/tout-le-monde-il-est-koowl. On sent une recherche, un désir, je dirais aussi une obsession à travers cette nouvelle tendance. Bien! Mais cet effet recherché n’est-il pas simplement l’envers du naturel? N’est-il pas simplement l’envie d’attirer l’attention sur un moi désemparé qui ne sait plus où il en est?

Je me demande si nous n’avons pas perdu le contrôle de nous-mêmes. Posons-nous ces questions : est-il possible de vivre pleinement, en santé, à tout âge, avec moins de médicaments et d’interventions médicales? De vivre pleinement avec moins de consommation, moins de désirs, d’objets matériels, d’idées brillantes, de mesures, de politiques, de directives, de modes, sans le regard d’autrui et son assentiment, sans reconnaissance à tout prix?

Ce flot continu d’abondance exposé sans pudeur devant nos yeux, je ne pense pas que ce soit une bonne nouvelle. Et je ne parle pas des vrais pauvres, de ces misérables qui doivent se contenter du peu, frustrés davantage de ne pas pouvoir profiter de la grande tablée. Qu’on leur donne des miettes!

Le train de l’abondance nous prend de force et de vitesse. L’excitation est grande et nos désirs hyper sollicités. Cette profusion est devenue un système, un grand rouage dont la courroie d’engrenage est mue par notre propre énergie.

Toute cette énergie dépensée, ne pourrait-elle pas servir à une autre fin?

15 octobre 2010

Le début des choses

"C’est toujours par le sommeil que les grandes choses commencent. C’est toujours par le plus petit côté que les grandes choses arrivent."

Christian Bobin

12 octobre 2010

Chut !

Pourquoi tiennent-ils tant à dire ceux et celles qui ont si peu à dire?

8 octobre 2010

Difficile si est écrire pourquoi.


Trouver les mots qui feront une phrase, qui construiront petit à petit un texte, c’est comme découvrir un trésor après maintes péripéties, embûches et aventures.

Nous aimons parler. Nous nous tenons proches de la parole qui se veut rassurante, car elle est inscrite dans nos gênes, car elle nous vient facilement à moins de handicaps toujours possibles. Le langage nous définit et l’acte de parler nous décrit d’emblée comme être humain. Émettre des sons significatifs à notre entourage est on ne peut plus naturel et lorsque qu’une réponse ou, à tout le moins, une réaction surgit, nous pouvons d'ores et déjà parler de dialogue, d’interaction.

Mais écrire… Communiquer avec des mots. Dessiner à la main ou avec un clavier un ensemble de lettres destinées à être lues et comprises sans ambiguïté, sans trompe-l’œil, avec un désir de netteté et d’honnêteté en filigrane, avec une envie toute naturelle de plaire, de toucher et peut-être même d’émouvoir, qui peut affirmer que voilà une tâche simple où le lecteur seul porte le fardeau d’un effort de compréhension?

Écrire, l’acte de création par l’écriture me demande souffle et énergie, et me vire à l’envers. Écrire remue une terre dont je me refuse parfois de creuser davantage, car elle restitue une abondance de filons que je me dois ensuite de classer, que je dois étaler devant l’éclairage du réel afin d’y générer un sens. Faute de sens un texte n’a pas de valeur, et les mots, ces trésors demeurent prisonniers dans un coffre cadenassé, privés d’une clé pouvant les délivrer d’une position sans issue.

Le chemin de l’écriture n’est pas tracé d’avance. Il y a celui que l’on dessine soi-même, que l’on foule ensuite avec résolution, avec hardiesse, en omettant cependant d’y attacher un pourquoi. Il y a celui qui forge un destin, qui tresse un lien puissant et unique avec la vie. Vivre est créer, façonner un passage du connu à l’inconnu, s’y engouffrer, l’explorer, y dessiner une carte, puis repartir et s’approprier d’autres paysages de valeur.

Le pourquoi ne tient pas lorsque créer nous empoigne corps et âme. L’envie d’explorer et d’exprimer seul compte.

Sentir l'automne




5 octobre 2010

Jongler avec l’espace, le temps et les étoiles.


Dans le parc ce matin, l’automne jouait comme un enfant. Il glissait ses couleurs dans les arbres et atterrissait à mes pieds avec des allures de feuilles enchantées. Le soleil dansait dans la rivière et sa lumière me parvenait toute fraiche, toute pimpante. Comme un temps renouvelé qui surgit du silence…

Je me suis dit que le moment semblait propice à un heureux présage.

Après quelques tours de piste, je grimpai une butte près des grands ormes et mon regard se jeta soudain sur une envolée de balles multicolores qui tournoyaient au-dessus d’un jongleur. Je m’approchai lentement pour ne pas déranger sa concentration. Son élan s’arrêta et j’en profitai pour lui signifier mon appréciation, le pouce en l’air. Il tenait dans ses mains un nombre de balles impossible, pas deux ni trois, mais bien sept. Il sembla ravi de lire mon étonnement après m’avoir fourni l’information. Il reprit sa routine et ses balles tournoyèrent à nouveau dans ce ciel d’automne comme de folles planètes autour de leur soleil. Mon ébahissement fut à son comble.

Jongler requiert attention, maîtrise et silence en soi même. J’ai souvent pratiqué avec trois balles et appris à faire quelques figures simples. J’ai senti maintes fois que la jonglerie s’apparentait à une forme de méditation profonde. Jongler demande de tout évacuer, de se libérer de toute préoccupation pour ne faire qu’un avec le mouvement dans l’instant présent.

La jonglerie est reléguée à un art de cirque; quelque chose d’inutile juste bon à émerveiller les enfants sous un chapiteau. Dommage. Je la verrais bien enseignée dans nos écoles afin d’aider les jeunes à se concentrer et apprendre à manipuler des objets dans l’espace. Et créer une beauté fascinante. Éphémère, mais fascinante.

Une fois, après avoir jonglé plusieurs minutes sans défaillir, oubliant mon corps, mes mains, oubliant jusqu’à ma vie plongée alors dans une période de problèmes insolubles, me retrouvant devant rien, le néant, je vis mes balles se mouvoir tout à coup devant moi par la seule force d’une intention inflexible. Je les imaginai ensuite s’envoler quelque part près des étoiles, conduites par ma volonté, puis disparaître dans l’infini.

Jongler est non seulement inutile, mais magique, en quelque sorte...

1 octobre 2010

Douleur et beauté...

Je veux mourir sans bandeau devant les yeux. Je veux mourir debout puis sauter dans l’inconnu sans honte, sans bagage inutile, sans regretter aussi mon ignorance, sans regretter ce qui fait une vie d’homme qui comprend et admet qu’il n’a pas tout vu et tout saisi.

Je suis tout plein de ces blessures, de ces combats singuliers à poings nus, ces escapades échevelées dans des territoires même oubliés de ma mémoire. Tout ça m’habite. Ces rages de père, ces mots tranchants comme les ciseaux du sculpteur, ces émois et ces pleurs d’une mère contrariée, tout ça m’habite. Je suis aussi les peurs de grandes nuits d’épouvantes alors que de sordides maladies croquaient à belles dents dans nos lits d’enfants. Je suis la poésie ludique de mes frères et sœurs, les charges furieuses de cette grande flopée d’amis qui remplissait ma rue de désordres ou de folies débridées. Je suis aussi un brin, un gros brin disons, ces discussions animées qu’entretenaient mes parents et grands-parents avec leurs frères et sœurs lorsque réveillons et repas de famille battaient l’ambiance à grand renfort d’éclaboussures.

Je suis tout ça, cette vie, cette énergie qui fait jaillir un être de la terre, le fait naître, et renaître parfois, comme un brûlant soubresaut dans l’attente d’un destin à fignoler. Je suis tout ça, cette ardeur embrasée, ces champs florissants, ces chances perdues, ces trottoirs, ces rues inondées de mauvais coups. Je suis toutes ces parties de hockey dehors, dans cet hiver qui vire sens dessus dessous les vieux, mais pas nous, car le jeu est notre dieu et il faut lui sacrifier notre précieux temps d’enfants, l’autre temps, le temps magique. Je suis aussi ces étés à courir des milles et des milles pour rien, en pure perte, puis à grimper jusqu’à bout de souffle dans chaque arbre qui osait m’interpeller pour sentir mes muscles se tendre et se détendre. Je suis ces étés à me cacher, à me jouer du vent, de la pluie et du soleil, à rouler des ballons, à botter des chaudières de plastique, à converser avec les fourmis, les chenilles, à chasser les papillons avec mon frère pour sa collection.

Je ne puis me débarrasser de tout cela, de cette douleur et de la beauté du vivre.

Et je n’espère que le bonheur de ne pas mourir avant l’aurore.