22 septembre 2011

Vieux schnock

Vieillir a ce petit côté paradoxal qui ne cesse de nous surprendre. Combien de fois avons-nous entendu des gens âgés dire en toute sincérité? : « J’ai l’impression d’avoir 15 ans, 20 ans. Je me sens encore tout jeune! » Vieillir contient une bonne réserve de non-sens et il nous vient à l’esprit que concevoir son existence relève parfois même de l’absurdité pure et simple.

Dans la revue Nouvelles Clés de février-mars 2011, j’ai trouvé ces mots sur la vieillesse qui ne manquent pas de croustillant.

« Si le vieillard vieillit deux fois moins vite que le jeune homme, c’est en raison de la différence d’âge. Un jeune homme et un vieillard du même âge vieilliraient à la même vitesse. »

« Des siècles avant notre ère, les Mongols de la tribu des Ouchis vénérèrent un adolescent qui, ayant atteint l’âge de la puberté, cessa soudain de vieillir. Ils en firent aussitôt leur chef. Le jeune homme mourut toutefois à l’âge de 73 ans. La légende dit cette phrase étrange : " Seul son corps avait vieilli."»
  
Le maître et le disciple :

Le disciple : Comment reconnaître la vieille mouche de la jeune?
Le maître : La vieille mouche feint la jeunesse, disciple.

Le disciple : Quand devient-on vieux, maître?
Le maître : Le jour où on cesse d’être un homme jeune qui souffre de vieillesse.

Le disciple : Maître, pourquoi, quand l’homme vieillit, tout perd-il de l’importance?
Le maître : Quand nous pissons, regarde devant toi, disciple.


21 septembre 2011

Fanfaronnade

Il y a ce petit homme, pas plus de trois ans et peut-être quelques poussières : trois ans, trois mois, trois semaines, trois jours… Il joue sur la terre avec de petites autos en traçant des chemins avec ses doigts comme il l’avait vu faire par ses frères et sœurs. Il s’amuse. Il ne craint rien puisque sa mère est là, tout près, dans la maison, juste de l’autre côté de la clôture qui entoure son terrain de jeu. Deux grands érables le protègent du soleil qui se fait ardent en cette belle journée d’été.

Jusque-là tout va bien. Tout à coup le petit homme entend comme un grognement sourd dans le lointain. Il tend l’oreille, cesse de jouer. Des bruits de tambours! Une musique éclate ensuite quelques instants puis se tait. Les tambours continuent de marteler l’atmosphère au rythme des dizaines de fanfarons qui avancent comme des pantins mécaniques.

L’enfant prend peur. Ces tambours approchent pour venir l’assommer puis le transporter loin de la maison, loin de sa mère. Ces tambours-là sont des êtres maléfiques qui tuent!

Le petit homme pleure de toutes ses larmes. Il crie et veut rentrer, la tempête fait rage. Sa mère finit par l’entendre et sort tranquillement de la maison. Elle le prend dans ses bras pour le consoler.

La fanfaronnade s’éloigne, ses bruits de tambours, ses éclats s’effritent. La peur s’envole elle aussi.

Depuis ce jour, le gamin sait distinguer la véritable musique, celle qui réconforte, des prétentions de l’autre, celle qui assomme.

On ne dérange pas de son jeu sacré un petit homme de trois ans et quelques poussières…


20 septembre 2011

Être le plus vivant


« Être simplement heureux d’être en vie, sentir le long de l’épine dorsale comme un frisson et une excitation au pur contact de l’air, n’est-ce pas la plus intense des prières, la plus sublime des actions de grâces, l’acte religieux par excellence? Notre corps vivant n’est-il pas le temple abritant la divinité? Que peut être celle-ci sinon la vie infinie apte à prendre toutes les formes? Ne sommes-nous pas partie intégrante de cette divinité? La seule foi, la seule pratique, le seul culte auxquels nous soyons tenus ne consistent-ils pas à être le plus vivant? 
Pierre Bertrand, Pour l'amour du monde, Ed. Liber.

18 septembre 2011

Les essentiels


Antonine Maillet n’est plus une jeunesse avec ses 82 ans bien sonnés. Elle nous étonne encore toutefois par sa verdeur et son pétillant. Voici ce qu’elle a à nous dire : « Il y a des urgences et puis il y a des essentiels. Il y a des gens qui ont passé leur vie, et je crois que c’est la majorité des gens, qui répondent aux urgences, mais jamais de temps aux essentiels. Eh bien l’écrivain qui ferait cela, n’écrirait pas! »

Extrait tiré d’un portrait documentaire sur l’auteure acadienne récipiendaire du prix Goncourt 1979 pour son roman Pélagie-la-Charrette. 

16 septembre 2011

"Messe pour le temps présent"


Le monde n’a-t-il pas profondément changé depuis un siècle, mille ans, dix mille ans? Et qu’entendons-nous dire encore? Il faut changer le monde…

Pauvre présent. Que de reproches, que de blâmes nous pouvons lire et entendre sur lui! Il a le dos large. Il supporte tout. Mais on voit bien qu’il est malade, en phase terminale. Les médias, chaque jour, nous rapportent l’évolution de son cancer et je ne parle pas d’internet qui fouille allègrement dans chaque recoin de son corps à la recherche de quelques métastases cachées. C’est à se demander si nous ne voulons pas sa fin. Tu nous dégoûtes, meurs donc!

Rien ne semble surpasser notre mépris pour le monde actuel, au point que j’y vois une sorte de délectation dans son malheur ou, à tout le moins, une vantardise dans sa reconnaissance. « Je vous l’avais bien dit, je l’avais vu venir celle-là, ils n’ont que ce qu’ils méritent! » Et puis la catastrophe serait à ce point imminente que nous ne pouvons même pas signifier un tant soit peu le contraire sans être accusés d’être à la solde de puissances obscures ou de souffrir d’aveuglement volontaire.

N’exagère-t-on pas un peu? Mais en est-il autrement depuis toujours? Le passé a la cote, c’est bien connu. Ah le bon vieux temps! Les jeunes aujourd’hui ne s’intéressent plus à rien, avant nous étions solidaires, nous avions des rêves…  

Annie Dillard s’exprime ainsi : « Il n’y a pas d’ancien temps héroïque, il n’y a pas d’anciennes générations pures. Il n’y a que nous autres, ici, pauvres poltrons, et il en a toujours été ainsi : un peuple affairé et puissant, bien informé, ambivalent, important, effrayant et conscient de lui-même; un peuple qui manœuvre, influence, trompe, conquiert; qui prie pour ceux qui lui sont chers et rêve de fuir le malheur et d’échapper à la mort. » (Au présent)

Nous persistons pourtant. D’ailleurs la vérité n’a-t-elle pas été tout écrite il y a deux mille ans et plus? Loin dans le passé et, bien sûr, à l’autre bout du monde, de grands sages se sont tenus debout, ont vécu, donné l’exemple, et depuis lors, pfft, plus rien. Nous n’avons qu’à nous conformer à leurs dires et tout ira bien. Et si tout va pour le pire aujourd’hui, c’est parce que nous les ignorons au profit de chimères, de faux maîtres, de la raison, et j’en passe.

Simpliste, et je n’y crois rien. « En réalité, nous dit A. Dillard, l’absolu est à la portée de tous et en tout temps. Jamais époque ne fut plus bénite que la nôtre, et jamais époque ne le fut moins. L’arbre de votre rue est tout aussi propice à l’éveil spirituel que le figuier pipal de Bouddha. »

S’il y a quelque chose d’accru de nos jours, c’est peut-être l’intensité de la peur ainsi que la présence de ses deux sœurs jumelles : insécurité et incertitude. (Contrastant avec les tours jumelles du World Trade Center qui représentaient sécurité et certitude.)Ne nous viendrait-il pas alors à l’idée de d’abord corriger notre propre manière d’envisager les choses, donc nous changer, nous, plutôt que vouloir changer les autres, le monde?

Allons fouiller quelques instants au fond de nous-mêmes. N’y a-t-il pas un peu de cette peur obscène qui nous grignote les entrailles? Peur de la mort, de la douleur, de perdre son travail, sa maison, sa santé...

Pourquoi le présent fait-il si peur? C’est parce qu’il est le seul réel et c’est pour ça que nous cherchons à l’atténuer, le diminuer, le cacher, le vaincre ou nous en débarrasser. Patience, ça devrait passer! Ne serait-il pas plus sage et productif de l’affronter avec courage sans nous faire d’illusions?

« Ça (Dieu) n’a rien d’autre à donner que ce que Ça vous donne dans l’immédiat. Que tout le monde et en tout temps peut profiter de Ça, et que ceux qui en ont conscience ne connaissent pas la peur, pas même la peur de la mort. » J. Goldsmith cité par A. Dillard   



11 septembre 2011

Le chiffre 11

Que pourrais-je ajouter de plus sur cette journée malheureuse? Tant de choses ont été dites et écrites. Voici mon témoignage. Humble.

Quelques jours auparavant, on m’avait demandé de faire un exposé sur la joie et le développement spirituel dans le cadre d’un séminaire en région. J’avais accepté avec plaisir, loin de me douter de la secousse à venir. Mais l’impensable survint…

Je m’en souviens comme si c’était hier. Le 11 septembre 2001 me jeta à terre. Je ne pus remplir mon mandat comme de raison — faire une conférence sur la joie dans de telles conditions me rebutait, je me sentais d’ailleurs vidé de cette substance. Je demeurai bouleversé pendant de longs mois.

Comment expliquer l’émotion lorsqu’une onde de choc te transperce de part en part? C’est comme tenter de décrire à un auditoire ce que tu ressens de ta propre mort au moment même où elle se produit et dans les minutes qui suivent.

L’indignation viendra plus tard.

Je ne porte pas en moi le gène de la révolte ou de cette indignation volage que l’on brandit comme un drapeau à chaque événement inhabituel qui relève de l’injustice ou d’un mal incompris. Ce monde est imparfait et nos propres vies sont là pour le démontrer. J’ai pourtant avalé de travers cette grosse bouchée (boucherie) indigeste qu’on me força à bouffer ce jour-là. Pendant plusieurs jours je n’ai cessé de geindre : « pauvre humanité qui se plait à tuer ses propres enfants comme si c’était du menu fretin ». Est-ce que c’est prendre soin du monde ça? Est-ce que c’est prendre soin de la vie, est-ce que c’est une tentative de l’améliorer?

Je fus envahi par un questionnement que je savais sans réponses valables. Indignation?

Pour nous tous, êtres humains, la réalité est déjà tragique en soi avec son lot de maladies, d’accidents, de cataclysmes naturels. Pourquoi faut-il que nous en rajoutions en nous entretuant bêtement? À partir de combien de morts une cause ne vaut plus la peine d’être appuyée? Est-il nécessaire de toujours insister sur nos différences (religions, races, langues, etc.) pour ensuite nous dénigrer et enfin chercher à nous éliminer complètement, car nous faisons ombrage à l’autre, que soi-disant nous l’empêchons de s’épanouir? Nous cherchons désespérément à résoudre le problème de la souffrance. Et comme il n’y a pas de réponses adéquates, universelles, faciles (nous aimons tellement la facilité) nous préférons utiliser la violence, jouer au plus fort, éliminer l’autre. Voilà peut-être la seule et véritable tragédie : l’absence d’effort, la paresse, le manque d’imagination dans la résolution des problèmes communs. Nous préférons jouer aux gros bras ou bien nous baissons ces mêmes gros bras en jurant qu’il n’y a que la main de Dieu pour nous sauver. Nous pensons jouer une partie à l’échelle planétaire, une partie dont la règle première est celle-ci : il n’y a pas de règles, c’est le plus puissant qui gagne. Certains prennent le jeu au sérieux, bombent le torse et détruisent tout sur leur passage, la fin justifiant bien sûr tous les moyens. D’autres, moins agressifs, se résignent et abandonnent leur sort dans les mains des plus intelligents, dans l’attente d’un deus ex machina les délivrant de l’obligation de jouer le jeu sans risques. Mais pourquoi ces extrêmes? N’y a-t-il pas un juste milieu?

Mon esprit s’est même permis de délirer en imaginant tout de sorte de subterfuges pour enrayer la haine des hommes envers son semblable. Ne voit-on pas que nous sommes tous pareils, embarqués sur les mêmes eaux? Non, semble-t-il. J’ai donc rêvé des envahisseurs venus de planètes lointaines, des envahisseurs tellement différents de nous cette fois-ci que nos pseudo différences humaines, celles que nous érigeons sur un piédestal pour nous démarquer et nous valoriser, fonderaient comme neige au soleil devant l’évidence.

Après le 11 septembre 2001, je me suis perçu comme une épave à l’abandon sur une mer démontée. Des requins, à ma droite et à ma gauche, me suivaient et attendaient le moment où j’abandonnerais mon navire et mon courage. J’ai longtemps senti le souffle des prédateurs.

Superstitions et chiffre 13 ne m’ont jamais intéressé.

Le 11?


6 septembre 2011

"Action!"


« Au 17e siècle, Hougren, le maître chinois de bouddhisme chan conseillait : « Travaille, travaille! Ne perds pas un instant… Calme-toi, tranquillise-toi, maîtrise tes sens. Travaille, travaille! Contente-toi de vieilles hardes, mange une nourriture frugale… feins l’ignorance, fait semblant de ne pas savoir t’exprimer. C’est le meilleur moyen d’économiser de l’énergie et cependant c’est efficace.»

« Réussite ou satisfaction personnelle ne méritent pas qu’on s’y arrête (…) Seule vaut l’action », écrivait Teilhard de Chardin. 

Tirées de Annie Dillard, Au présent.

2 septembre 2011

Le chant du grillon

En faisant la file devant l’entrée d'un restaurant, j’écoute le chant des oiseaux et celui du grillon. L’endroit est magnifique, en campagne sur l’Île d’Orléans, et la température, idéale faut-il le dire, nous aide à patienter. Je me prends d’imiter les chants entendus, le grillon surtout. Autour de moi les gens causent ou salivent en silence, anticipent. Moi je m’applique à mon chant et l’air, tout à coup, devient soyeux, léger. Il m’enveloppe tout entier puis rebondit dans quelques interstices laissés entrouverts au-delà des visages impassibles.

On frappe à ma porte, j’ouvre et le vent s’engouffre. Qui est-ce? Celui qui n’a pas de nom…

Suis rassuré.

Il me dit en chuchotant qu’il aime le chant du grillon que j’imite. Il m’exhorte à continuer, la tâche est sérieuse. Il me répète, une autre fois encore, de lui faire confiance lorsqu’il me dit laconiquement que "c’est sérieux lorsque rien ne semble sérieux et que ce n’est pas sérieux lorsque nous sommes sérieux."

Est-ce vrai? Je continue à pratiquer quelques stridulations, à faire honneur au dieu grillon, chercher la bonne note. Mais que suis-je donc? Un homme qui rêve être un grillon ou un grillon rêvant qu’il est un homme?

La file d’attente se résorbe lentement. Une jeune fille souriante vient ensuite nous dire de prendre place pour le repas. Je réintègre le monde.

Pratiquer le chant aiguise l’appétit.