25 décembre 2011

J'achète, donc je suis !


L’excitation monte. Les centres commerciaux sont bondés. Je le sais, j’en arrive. J’aurais aimé m’y rendre au petit matin, vers cinq heures disons, à un moment plus tranquille, mais je rêve…  Je mettrais tout de même un billet de cent que dans un avenir proche la majorité des magasins seront ouverts 24 sur 24.

Sur l'immense stationnement, le véhicule de Second Regard, l’émission des « affaires religieuses » de Radio-Canada. Des caméramans sont en train de filmer l’entrée des magasins. Les lieux du temple ont bien changé, remplacés par la nouvelle Église du consumérisme et ses cathédrales de la breloque. J’ai pensé qu’on allait probablement faire une émission là-dessus.

En retournant à la maison, je me suis posé cette question : quand serons-nous enfin rassasiés de ce dont nous avons déjà à satiété? C’est l’abondance dans nos vies, nous le savons bien. C’est même l’abondance du futile et du superflu, jetable à volonté. Et je me demande si un jour une pause se fera puisque de tout temps l’homme a trouvé sa satisfaction, son plaisir et son accomplissement dans ce qu’il ne possède pas encore.

La grande roue du désir éternellement insatisfait…

Puis il y a cette terrible équation dont il est délicat de discuter, car elle est devenue une sorte de tabou du capitalisme : j’aime dépenser pour acheter, puisque j’aime me faire plaisir, puisque j’ai de l’argent, puisque je suis riche, puisque je suis intelligent, et je veux le démontrer, parce que je suis quelqu’un de bien, ça va de soi!

L’autre jour, je me suis retrouvé dans un Apple Store, juste par curiosité. Je me suis planté au milieu de l’entrée et j’ai observé au moins une dizaine de minutes, comme figé au sol, non pas les produits en vente mais la cohue et l’effervescence causées par les gens de tous âges rassemblés et agglutinés autour de nouveaux gadgets technos. J’ai vu l’avidité, j’ai entendu dans la tête d'adultes des « maman, je le veux, tous mes amis l’ont! » Sidérant.
  
La méthode additive, pour se réaliser, a encore beaucoup d’avenir. On aime s’identifier à ses possessions, et plus on en a mieux on est.

Je n’ose même pas proposer d’essayer ça avec la méthode soustractive.

20 décembre 2011

La cité des prisonniers


Le jeune homme se tenait droit debout au milieu de la prairie. Il était seul. Il contempla quelques instants les hautes herbes qui ondulaient gracieusement au gré du vent, jusqu’à ce qu’il remarque cette cité plus au loin sur sa droite. Il aurait aimé baigner encore un temps dans cet océan d’herbes, mais quelque chose l’attirait vers la ville, une attraction indéfinissable.

Entraîné par le vent, il se retrouva à l’intérieur des murs de cette cité qu’il ne connaissait pas. Le jeune homme était curieux et dans l’expectative. Il sentait en lui toute la force d’un amour inébranlable, l’absence totale de peur et le pouvoir lumineux que confère une liberté sans limites. Ce sentiment puissant lui était apparu soudainement en mettant pied dans ce nouveau lieu. Rien ne pouvait vraiment le décrire. 

Il parvint bientôt sur une grande place entourée de tous côtés par les devantures en pierre de hautes résidences à étages avec leurs minuscules balcons en encorbellement ou garnies de simples fenêtres. Vers sa gauche, il aperçut ensuite un large escalier longeant la façade de plusieurs maisons et se terminant juste devant une porte monumentale en bois massif haute de dix mètres environ. Il s’avança lentement dans cette direction puis s’arrêta en face des quelques marches à gravir.

Un individu apparut au même moment. Il était habillé d’une toge blanche et portait une longue barbe de patriarche. Il s’arrêta net en haut des marches face au jeune homme. Immédiatement ce dernier décela dans le regard de l’occupant la marque de la suspicion, de la méfiance et même du mépris. Sans dire un mot, le jeune homme gravit lentement les marches, leva sa main droite à hauteur des yeux puis, d’un simple mouvement des doigts, intima l’autre de se tasser et même de quitter l’endroit. Il acquiesça sur le champ, sans broncher, ni même insister...

Le jeune homme s’approcha de la grande porte. Il la regarda attentivement. Elle s’ouvrit. Il pénétra à l’intérieur d’une grande salle peu éclairée, sans fenêtres, ni attraits particuliers. Il vit alors, en retrait au fond de la salle, une assemblée de femmes et d’hommes de tout âge. Ils étaient assis par terre, immobiles et en silence. Ils semblaient attendre. Tous étaient habillés de vêtements usés, troués et sales, prostrés dans une sorte de déchéance dont ils ne voyaient pas d’issue. À l’arrivée du jeune inconnu, ils se levèrent d’un bond. Ils l’entourèrent, devinant qu’il était celui qui apportait une délivrance. Le jeune homme esquissa un sourire puis toucha d’un seul doigt posé sur leur épaule chacune des personnes détenues dans cette prison. La porte étant ouverte, ils pouvaient désormais s’en aller, mais pas avant s’être d’abord émerveillés de constater que leurs vêtements étaient redevenus impeccables à la suite du toucher de l'inconnu.

Le jeune homme sortit à son tour, s’en alla s’asseoir sur un banc situé au milieu de la grande place. Lui vinrent alors à l’esprit ces mots lus maintes fois et qu’il avait longuement médité, ces mots écrits des mains mêmes de son ami et maître pour les hommes et les femmes qui désespèrent de leur condition. « L’homme est un dieu vêtu de haillons, un roi déchu prosterné devant ses propres sujets; il pourrait être libre, mais il préfère la prison de sa propre ignorance.»

Fatigué, il se reposa de longues minutes en silence. Puis un vent doux vint lui chuchoter à l’oreille qu’il était temps de repartir.

Un dur destin l’attendait.

15 décembre 2011

Les mots (5)

Escalier :
Spécialiste de l’ambigüité. Nous aide à mieux comprendre les opposés : parfois nous montons, parfois nous descendons. Si la science nous intéresse, voyons dans l’escalier cette unique raison d’être de nous faire éprouver la loi de la gravité sans nous blesser… 

Feu :
Où loge le feu avant qu’il advienne? Mystère. Dans le foyer, circonscrit, maîtrisé, il est le bon génie de la chaleur et de la lumière qui ensorcellent. Laissé à lui-même, il personnifie le destructeur. Qui contrôle le feu maîtrise l’être.

Montagne :
Envers de la platitude, du pareil, de l’égal. La montagne nous renvoie à notre propre grandeur lorsque nous la contemplons. C’est pourquoi nous cherchons à la grimper pour nous dépasser.

Yeux :
Comment nous verrions-nous… si nous n’avions pas d’yeux? Serions-nous des êtres d’une autre planète? Dans les yeux se loge la profondeur de bien des océans, et leur beauté et leur brillance annoncent toutes les splendeurs des autres mondes.

Neige :
Le lait de mes hivers. Lumière floconneuse de toutes les couleurs caressant les reins de la terre. Entité silencieuse à l’esprit magique du nord perdu. Derrière le calme, derrière la contemplation se trouve une couverture de neige qui ralentit la course ahurie des désirs insatiables.  

Or :
Un luxe de lumière d’or ruisselle sur ses épaules… Fascination et débordements... Est-ce que l’or rend fou? Je l’ai déjà cherché dans une rivière et l’eau, ratoureuse et secrète, m’a conduit vers un trésor caché au centre de l’être.     

Parole :
N’a de valeur réelle qu’issue de la densité du silence. Dans le cas contraire, elle n’est que bruit de bouche accroché à la rumeur ambiante, aux dépôts à la mode, à la mémoire morte et aux croyances absurdes et figées. Aussi bien dire qu’il vaudrait mieux apprendre à se taire plutôt que de l’utiliser de si piètre manière.  

13 décembre 2011

Se dépasser


« Aimer l’autre, ce n’est pas le laisser se complaire dans ses caprices et ses limites, c’est l’amener à se dépasser. »  

Pierre Bertrand, L'intime et le prochain.

12 décembre 2011

Méditations sur la beauté


Quelques citations glanées du livre de François Cheng, Cinq méditations sur la beauté.

* (…) l’univers n’est pas obligé d’être beau, et pourtant il est beau.

* Je comprends d’instinct que sans la beauté la vie ne vaut probablement pas la peine d’être vécue, et que d’autre part une certaine forme de mal vient justement de l’usage terriblement perverti de la beauté.

* Et la beauté? Elle existe, sans que nullement sa nécessité, au premier abord, paraisse évidente. Elle est là, de façon omniprésente, insistante, pénétrante, tout en donnant l’impression d’être superflue, c’est là son mystère, c’est là, à nos yeux, le plus grand mystère.

* À mes yeux, c’est avec l’unicité que commence la possibilité de la beauté : l’être n’est plus un robot, ni une simple figure au milieu d’autres figures. L’unicité transforme chaque être en présence, laquelle, à l’image d’une fleur ou d’un arbre, n’a de cesse de tendre, dans le temps, vers la plénitude de son éclat, qui est la définition même de la beauté.

* L’Âme est « basse continue » de chaque être, cette musique rythmique, presque à l’unisson du battement de cœur, que chacun porte en soi depuis sa naissance. Elle se situe à un niveau plus intime, plus profond que la conscience, parfois en sourdine, parfois étouffée, jamais interrompue cependant, et qui, à des moments d’émotions ou d’éveil, se fait entendre. Se faire entendre et résonner, c’est sa manière d’être. Résonner, voilà le mot juste. Résonner en soi, résonner à la basse continue d’un autre, résonner à la basse continue de l’univers vivant, c’est sa chance d’être immortelle. « Chanter, c’est être », affirme Rilke. Existe-t-il pour l’âme une autre loi que celle-ci : « N’empêchez pas la musique »?

* Oui la beauté ne saurait jamais nous faire oublier notre condition tragique. Il y a une beauté profondément humaine, ce feu d’esprit qui brûle, s’il brûle, au-delà du tragique.

* L’art authentique en soi est une conquête de l’esprit; il élève l’homme à la dignité du Créateur, fait jaillir des ténèbres du destin un éclair d’émotion et de jouissance mémorable, une lueur de passion et de compassion partageable. Par ses formes toujours renouvelées, il tend vers la vie ouverte en abattant les cloisons de l’habitude et en provoquant une manière neuve de percevoir et de vivre.

2 décembre 2011

Écrire pour survivre


«Écrire est une arme pour lutter, pour persévérer. La vie est souvent difficile, cruelle, voire brutale. Écrire aide à passer au travers, à se faufiler, à déplacer les impasses. Écrire ne consiste pas à faire de la littérature avec la vie, mais, tout au contraire, de la vie avec la littérature. C’est dans l’acte d’écrire que les lectures, les impressions, les idées reprennent le plus vif contact avec la vie la plus concrète. Car écrire est une question de vie ou de mort. On écrit pour survivre, non pas nécessairement pour ne pas se tuer, comme le dit Cioran, mais, plus profondément, pour ne pas être un mort vivant, pour insuffler une vitalité particulière à une quotidienneté qui risque toujours de tomber dans la routine, dans la monotonie.» 

Pierre Bertrand, Le cœur silencieux des choses, Liber

1 décembre 2011

L'ignorance


J’ignore tant que je désespère d’une magie qui pourrait me transporter vers un lieu de tous les possibles.

Je ne sais rien de maints pays, de leurs villes et leurs habitants. Je ne sais rien d’Ispahan, de Moscou, de Kyoto, de Samarkand. Je ne sais rien des grands déserts et des Îles Fidji, ces paradis perdus dans le Pacifique.

Je n’ai jamais construit de maison ni réparé de mécaniques subtiles. Je ne sais jouer du piano, conduire un orchestre, manipuler le pinceau. Je n’ai jamais pu lancer une balle sur une vraie butte de baseball dans un stade. Je ne sais rien de gérer une entreprise.

J’ignore plein de saveurs, de musiques, d’architectures. J’ignore tout de langues étrangères, de la danse des mots qui font vibrer le plus profond de l’homme partout sur terre. Que j’aimerais embrasser le portugais, étreindre le mandarin, chanter le swahili!

J’ignore tant que cette carence me fait désespérer de ne pas vivre encore un million d’années...

Le philosophe nous exhorte cependant à ne pas ignorer que nous ignorons. Je sais que je sais peu et ce savoir si mince, si discret soit-il, me conduit tout de même d’étonnement en étonnement. Je dois avouer cependant que malgré ces multiples expériences et réalisations manquées dont j’admets l’impossibilité de pouvoir vivre un jour, je dois avouer, dis-je, que je préfèrerai toujours ne connaître qu’une seule vérité que de me disperser dans mille égarements sans fondements.

Puis-je d’ailleurs affirmer qu’une vérité, une seule, absorbée corps et âme, réalisée et comprise jusque dans chacune des fibres de son être, dégage autant d’énergie que la fission d’un atome?

Réfléchir

Entre réflexe et réflexion, il y a un monde.